mardi 27 mai 2014

Grégory Sugnaux à lokal int - interview





Le jeune artiste Grégory Sugnaux exposait récemment au lokal int de Bienne. Votre intrépide chroniqueur s’est rendu au vernissage pour tenter de mettre des mots sur ses créations inqualifiables tout en dégustant une bière locale.

Colin Raynal : « Fruit tree » est ta première exposition solo, parle-nous du titre de cette exposition et de ce que tu y présentes.
Grégory Sugnaux : Je présente des sculptures récentes ainsi qu’une peinture murale réalisée in situ. Certaines sculptures sont accrochées au mur, d’autres sont déposées sur le sol, mais elles reposent toujours sur des barres en métal bien visibles. Les différents éléments repartis dans l’espace forment un tout cohérent. Et comme c’est le début du printemps, j’ai appelé l’exposition Fruit Tree.

CR : Explique-nous le concept de cette exposition.
GS : Je ne conçois pas vraiment ma pratique en termes de concepts. Je travaille avant tout de manière intuitive et me situe plutôt dans un courant minimal. Les éléments sont là en soi, elles ne renvoient pas à une idée profonde qui se trouverait hors-champ. Par exemple, la peinture murale se rapproche du décoratif, du motif de papier peint. En même temps, elle rappelle une certaine forme de street art, et elle souligne l’architecture du lieu tout en donnant l’illusion d’un nouvel espace. Mais finalement, pas sûr que tous ces éléments suffisent à résumer ce qu’elle représente pour moi. Il y a un moment où les mots ne suffisent plus, et c’est ça qui m’intéresse, c’est justement ça que je recherche. Exprimer quelque chose d’autre, dont il faut faire l’expérience.

CR : Quelles sont tes méthodes de travail ?
GS : Je suis d’abord un observateur. Je prends beaucoup de photos. Je navigue aussi sur Internet. Mon attention se porte sur des détails. C’est un processus qui peut prendre un certain temps. Je m’approprie des formes, je les déforme, les simplifie. J’aime bien explorer de nouveaux territoires, tenter des choses, laisser la place à des accidents. Je peux passer de l’abstraction à la figuration, de la couleur à la sculpture. Je ne me fixe pas de limites. C’est une recherche constante.

CR : Quelles sont tes références?
GS : Ces derniers temps, je m’intéresse à Renee Levi et David Thorpe. Sinon, j’aime bien les peintres comme Franz Ackermann, Sigmar Polke, Walter Swennen, Katharina Grosse, les deux frères Oehlen. Je regarde aussi des films, de la science-fiction, des documentaires, et j’aime l’architecture des années 60. Je peux puiser mon inspiration dans des choses très simples, je me laisse imprégner par les formes qui m’entourent. Après j’aime bien m’enfermer dans mon atelier, seul avec moi-même, et regarder ce qui en ressort.


CR : Est-ce que tu penses que ton travail comporte une dimension politique ?
GS : Pas directement. Je fais de l’art, pas de la politique, mais c’est aussi une manière d’essayer de changer le monde quand on y pense. Si tu replaces l’art minimal dans son contexte de l’époque, tu te rends compte que c’était plus qu’une simple préoccupation esthétique. Quoi que tu fasses, tu prends position. Et rien que faire de l’art, ça veut déjà dire quelque chose. Mais après, je reste modeste par rapport à ça. Je ne définirais pas ma pratique comme étant politique.

CR : Qu’est-ce que tu cherches à susciter chez le spectateur de ton exposition ?
GS : C’est peut-être un peu fort de parler d’émotion, mais en tout cas ça a à voir avec un certain ressenti. J’ai réfléchi les choses par rapport à l’espace, et la façon dont on y circule. C’est une sorte de promenade pour les yeux. J’aime bien jouer sur l’apparence des choses, opérer des renversements. Par exemple, les sculptures en béton sont moulées dans du sagex, un matériau léger qui laisse son empreinte caractéristique à la surface de la sculpture. Les formes massives, aux angles acérés, qui reposent uniquement sur la tranche, renforcent cette ambigüité. J’aime bien que le spectateur s’interroge sur le processus de travail. Je cherche à susciter la curiosité, provoquer des questionnements, ouvrir des potentiels. Je pars du quotidien pour créer un monde à l’apparence à la fois proche et lointaine.

CR : Comment envisages-tu la suite de ton travail ?
GS : Je ne peux pas dire dans quelle direction ça va évoluer, mais dans tous les cas je vais continuer à expérimenter des choses. Je n’ai pas envie de rentrer dans un cadre, de m’enfermer dans une catégorie pour le moment. J’essaie des choses et je me fais plaisir. Pendant mes études aux Beaux-arts de Sierre, j’ai fais beaucoup de peinture, et maintenant que je suis à Berne, je me suis aussi mis à la sculpture. Qui sait, peut-être qu’un jour je passerais à la performance ! (rires) Je fais bien du théâtre de temps en temps, alors pourquoi pas ! Mais ça m’étonnerait quand même.

vendredi 23 mai 2014

J'aime bien le foot mais il y a des limites



J’aime bien le foot, mais il y a des limites.
Il y a des limites quand Gazprom, nommée pire entreprise de l’année, se targue d’être l’un des sponsors principaux de la Ligue des champions.
Quand les clubs vendent leurs noms de stade à des entreprises sans se poser de questions, et qu’on se retrouve avec des Reebook Stadium et des Allianz Arena.
Quand on voit des pubs pour McDo sur le bord des terrains.
Quand le cinéma a été inventé il y a 119 ans et qu’on n’a toujours pas d’arbitrage vidéo.
Je me pose des questions.
Le foot médiatisé n’est pas qu’un simple sport, isolé du reste du monde sur son rectangle vert. Qu’il le veuille ou non, il reflète une réalité économique, politique et sociale. Le foot est soumis au pouvoir néolibéral dominant. Les joueurs circulent à travers le monde entier et sont contents d’être vendus comme une vulgaire marchandise à des prix exorbitants. Le surendettement des clubs n’est qu’une preuve supplémentaire que le capitalisme mondial intégré a atteint ses limites.

J’aime bien le foot mais il y a des limites, quand le président de l’UEFA, Michel Platini, déclare que les milliers de Brésiliens en situation précaire, déplacés sans ménagement pour construire des stades, feraient bien de se la coincer un peu pour laisser se dérouler sans encombres la « grande fête du football ». La fête de quoi ? Des droits de retransmission, des produits dérivés, des paris en ligne et des vignettes panini.

Il y a des limites quand dans le même temps, au Qatar, on prépare la coupe du monde 2022 à grands coups de bulldozer, au milieu des déserts brûlants et des buildings climatisés. Que l’on fait venir des milliers d’ouvriers de l’étranger, qu’on leur prend leur passeport à l’arrivée, qu’on les force à travailler 12 heures par jour par des températures de 50 degrés, qu’on leur refuse l’accès systématique à l’eau potable, bref, qu’on les exploite comme autrefois l’Egypte exploitait des esclaves pour construire les pyramides. C’était il y a plus de 4'500 ans, et ça continue encore aujourd’hui. Combien de morts supplémentaires faudra-il pour que ça cesse ?
Il y a des limites quand les grands équipementiers comme Nike lancent une campagne intitulée « respect » alors qu’ils exploitent eux aussi leurs ouvriers chinois sous-payés.
Il y a des limites quand la FIFA fait penser à l’OMC. Et je ne parle même pas du scandale des matchs truqués.
Le foot actuel n’est pas libre. Il est esclave de son temps. Il ne reconnaît aucune valeur, si ce n’est celle de l’argent.

J’aime bien le foot mais il y a des limites quand la poignée de jeunes joueurs qui réussissent à atteindre le plus haut niveau gagne des centaines de millier d’euros jusqu’à 35 ans et puis plus rien. Des jeunes repérés dès leur plus jeune âge, sortis de l’école, éloignés de leurs parents, incapables de réfléchir autrement qu’avec leurs pieds, de caresser autre chose que le ballon et le rêve d’une grande carrière qu’on leur a promise à coup sûr. Des machines de guerre éduquées à la spartiate, qui signent trop vite leur premier contrat et se pavanent bientôt en Ferrari avant d’essuyer les blessures à répétition et de finir sur le banc de touche. Des futures stars avortées sur qui on a trop spéculé, déjà bonnes pour la casse après quelques saisons ratées. Des champions de l’obsolescence programmée, qui ratent leur diplôme d’entraineur et parlent trop mal le français pour être consultants pour TF1. Qui souffriront bientôt de problèmes de santé dus aux produits dopants ingurgités pendant leur courte carrière de footballeur professionnel.

J’aime bien le foot quand il incarne ce rêve à l’américaine version frenchies seconde génération, quand des petits Zinedine, Samir ou Karim passent du bitume des cités défavorisées aux pelouses du Real de Madrid grâce à la magie du ballon rond.
J’aime bien le foot quand un club de division inférieure remporte la coupe nationale, renversant la hiérarchie, brouillant tous les pronostics.
J’aime bien le foot quand une équipe menée au score parvient à renverser la situation in extremis dans les deux dernières minutes de jeu, et remporte la partie sur le fil.
J’aime le foot quand il est porteur d’espoir, de suspens et de belles histoires. Quand il est dépourvu de logique. Quand il laisse sa chance au plus petit.
Je n’aime pas le foot quand Zidane met un coup de boule à Materazzi et qu’on lui pardonne parce que c’est Zizou, ou que Maradona marque de la main et qu’on en fait un dieu vivant. Pourquoi celui qui ne respecte pas les règles du jeu mériterait-il le respect ?
Mais à la limite, j’aime mieux Zidane depuis son coup de boule, parce que par ce geste stupide, il a montré qu’il était comme tout le monde : humain, capable du pire comme du meilleur.

Je n’aime pas le foot business, ultra défensif, arrogant, calculateur, à la limite du fair-play de José Mourinho. J’aime le foot décomplexé, collectif, audacieux, déconcertant et formateur d’Arsène Wenger. Même si ça ne marche pas à tous les coups. Même si lui aussi accepte de suivre certaines règles du foot business.
J’aime le foot quand il perd avec panache plutôt que quand il obtient des résultats sans la manière. J’aime bien le foot quand les équipes ressemblent à des collectifs plutôt qu’à des multinationales.

J’aime bien le foot mais il y a des limites, quand on nous hypnotise avec un ballon rond pour nous empêcher de regarder ailleurs. Quand les dirigeants politiques font preuve d’un populisme navrant en se rendant personnellement au stade pour les matchs importants. Quand même les équipes nationales ont leurs sponsors privés. Quand les matchs à la télévision et les pubs à la mi-temps nous aliènent l’air de rien.

J’aime bien le foot mais y a des limites, quand on néglige à ce point le foot féminin, et qu’on promeut, parfois sans s’en rendre compte, le machisme, l’individualité et l’exclusion à tour de bras.

J’aime bien le foot mais il y a des limites, quand il se passe un petit peu trop de choses hors-jeu, quand il y a des coups pas si francs, quand il y a des tirages de maillot, quand ça mérite carton rouge et que l’arbitre fait comme s’il n’avait rien vu.

Que se passerait-il si on s’en prenait à l’arbitre et qu’on tentait de changer un peu les règles du jeu, juste pour voir ?

Quand j’étais petit, comme beaucoup de garçons, je voulais être footballeur. Aujourd’hui je suis bien content de me tenir loin des terrains.

vendredi 15 février 2013

Searching for Sugar Man - Malik Bendjelloul


Comme tout le monde, tu as d'abord lu l'histoire dans les médias. Ça te paraissait tellement énorme que tu as cru à un fake. Alors, tu t'es un peu renseigné, tu as écouté un ou deux morceaux sur youtube, et tu es tombé à la renverse. Depuis, tu as vu le film, et, comme tout le monde, tu te pose inlassablement la même question : comment a-t-on pu ignorer Sixto Rodriguez pendant près de 40 ans?


C'est un documentaire. Un film de détective. Une histoire vraie qui commence dans les sixties. Celle de Sixto Rodriguez, un fils d'immigrant mexicain qui tente de survivre dans les rues de Detroit. D'un type qui bosse dur sur les chantiers et qui gratouille quelques chansons sans prétention sur l'infamie humaine le soir avant d'aller se coucher. Ce qui l'amène à jouer dans les bistrots miteux de banlieue. Or, il se trouve que le gaillard a du talent. Il se fait repérer par un producteur et sort un album qui vient des tripes. Mais c'est là que le bât blesse. La success story se fait vite rattraper par la dure réalité. Malgré de bonnes critiques, Sixto ne vendra même pas une demi-douzaine de disques. Même raté pour son second album. Son label le lâche avant Noël, et Sixto retourne travailler comme il l'a toujours fait, sans en vouloir à personne.

L'histoire aurait pu s'arrêter là si un des maudits disques n'avait pas miraculeusement atterrit en Afrique du Sud. Un type fait alors écouter à un autre type, qui commande l'album à son disquaire. C'est l'effet boule de neige. Malgré la censure, les chansons anti-etablishment de Sixto Rodriguez deviennent les hymnes de la lutte anti-apartheid.
Un seul bémol : Rodriguez n'est pas mis au courant. Coincé à Detroit, il continue à déménager consciencieusement des frigos. Disque d'or sans le savoir, il ne touchera jamais un centime sur la vente de ses disques en Afrique.



Et puis, la happy end arrive enfin, 40 ans après. Elle ne tenait pourtant à pas grand chose. Un article, un site web, un coup de fil. Quelques types un peu fous qui se sont mis en tête de retrouver la trace d'une légende qu'on croyait morte depuis longtemps. Et qu'ils ont fini par ressuciter. On lui apprend pour l'Afrique du Sud. Une tournée là-bas s'organise. La foule se rue pour assister à la résurrection de leur idole. Pour eux, c'est un peu comme si Elvis réapparaissait. Rodriguo de son côté a l'air plutôt content. Il reste étonnement calme, garde les idées claires, savoure l'instant. Noble et humble jusqu'au bout. Et à la fin du voyage, Sixto retourne dans son appart miteux de Detroit, reversant la plupart de l'argent de la tournée à ses proches.

La suite est assez simple. Malik Bendjelloul a vent de l'histoire et se dit que ça ferait un bon film. Il décide de tout claquer pour se lancer dans l'aventure. Et avec peu de moyens et beaucoup de travail, il finit par sortir Searching for Sugar Man, qui permet au reste de la planète de découvrir Rodriguez.
Après une heure de film sous forme d'enquête policière, Sixto apparaît enfin à l'écran, plus mystérieux que jamais. Nous voilà face à la légende, sugar man. Un type en or, resté fidèle à lui-même, qu'on découvre père de famille et engagé en politique. On le voit marcher dans la neige, il manque de tomber plusieurs fois, mais il tient bon. Il en a vu d'autres. Il est habillé tout en noir, et il porte des lunettes de soleil même en hiver, comme sur les photos d'archives.
En vérité, difficile de lire se qui se trame derrière ses lunettes noires. Mais Sixto semble voir plus loin que les autres.
Mine de rien, à travers deux ou trois morceaux, ce grand type aux allures de chamane de caniveau a réussi à transformer la misère noire de sa jeunesse en quelque chose de beau. Alors, tu te dis qu'à y voir de plus près, ça ne ferait pas vraiment sens de sortir un nouvel album : tout est déjà là, dans ces deux vieux disques ratés. Ne reste plus qu'à les écouter.


vendredi 26 octobre 2012

Laurence Anyways - Xavier Dolan


Quand tu te rends compte que les footballeurs sur le terrain commencent à être plus jeune que toi, tes rêves d'enfance en prenne un coup. Tu dois admettre que tu deviens vieux, et que tu ne gagneras jamais la coupe du monde. Trop tard, c'est foutu. Fallait moins jouer à la console le mercredi après-midi.



Là, pour le coup, ça m'a fait la même chose avec le cinéma : à 23 ans, Xavier Dolan sort son 3ème film alors que je cire encore les bancs d'une école d'art, avec résolument aucun avenir devant moi. Bon, tu me diras, c'est facile pour lui, avec un papa acteur qui le fait jouer des pubs alors qu'il suçait encore son pouce, le mec est tombé dedans quand il était petit. Et mine de rien, il a aussi la chance d'être né au Québec. Parce que Dolan a beau râler comme quoi son premier film (J'ai tué ma mère) n'a pas été tout de suite financé par la SODEC (Société de développement des entreprises culturelles du Québec), il a quand même eu la chance au bout du compte de se faire gracieusement payer son film par l'Etat, ce qui serait bien plus difficilement envisageable en Europe ou aux USA.
Alors oui, Xavier Dolan a eu du cul (il en faut toujours un peu), mais ça n'enlève rien a son talent. Encensé par la critique, il n'est pas la coqueluche de Cannes pour rien ! Même si ceux qui crient au génie vont un peu vite en besogne.
Pour moi, Dolan est juste un gamin doué, le reflet de la génération Y, capable de se faire une culture cinématographique extraordinaire en un rien de temps grâce aux bienfaits du téléchargement illégal.
Le garçon a du mérite. Il déclare ainsi que c'est Mort à Venise (Visconti, 1971) qui lui a donné envie de se lancer dans le cinéma, alors que c'est quand même un des films les plus chiants de toute l'histoire du 7ème art.
Pourtant, malgré certaines références un peu ronflantes (Wong Kar Wai notamment), les films de Dolan sont loin d'être ennuyants. Au contraire, Dolan semble habilement tirer les leçons des grands maîtres du cinéma pour développer un style personnel et poétique, s'égarant volontairement en cours de route, s'emportant parfois dans des élans surréalistes, proposant volontiers des innovations formelles, le tout avec une étonnante facilité.
Cela étant dit, Laurence Anyways (le sujet de notre article à la base) me laisse quand même sur ma faim. L'histoire nous réserve quelques moments magiques mais, au bout de deux heures, finit par tourner en rond. Plutôt que de creuser la psychologie des personnages, Dolan se contente de survoler la question et préfère nous en mettre plein la vue avec des décors particulièrement soignés.
Le problème réside peut-être ici : formellement, c'est génial, mais sur le fond, ça sonne un peu creux, sauf pour les dialogues, qui révèlent un grand sens de l'écriture.
Et même si les critiques parleront sans doute du film de la maturité, à mon avis ses deux précédents longs-métrages étaient tout aussi aboutis. Tous trois parlent d'amour à leur manière, dans tout ce que celui-ci peut avoir d'idiot et de monstrueux. Et c'est là la véritable trouvaille de Dolan. Alors qu'Hollywood continue de produire des films violents et gratuits, l'avant-garde est plutôt à chercher du côté amoureux.
Avis aux amateurs, salut !

dimanche 12 août 2012

Festival del film Locarno 2012


Chaque année en Août, la jolie ville de Locarno revêtit son plus bel ensemble léopard pour accueillir comme il se doit le festival del film.
Comme deux ans auparavant, votre intrépide chroniqueur s'est rendu sur la Piazza grande pour caresser de plus près le pelage d'un fauve tantôt docile, tantôt sauvage.

Laissons de côté le concours international (sorte de remake de Cannes), les stars montées sur tapis rouge (c'est bon pour l'image des sponsors), et les divers hommages aux grands noms du cinéma (Otto Preminger, Chris Marker) pour mieux nous concentrer sur ce qui constitue selon moi le véritable enjeu de ce festival tourné vers l'avenir : la section Pardi di domani, qui offre la possibilité à de jeunes pousses cinéphiles de venir s'épanouir sous le soleil Locarnesque en y présentant leurs premiers courts et moyens métrages. L'occasion pour le public de découvrir des futurs talents issus pour la plupart d'écoles d'art suisses pour ce qui concerne le concours national.


Mais autant vous dire tout de suite que si la perspective d'un tel programme faisait saliver votre humble chroniqueur toujours gourmand en avant-garde, le résultat n'a pas toujours été à mon goût, loin de là.
Là où j'attendais de la fraîcheur, de l'originalité, des prises de risques pour découvrir des nouvelles saveurs, je me suis trop souvent retrouvé face à une assiette froide et insipide avec un arrière-goût de déjà-vu.
Certes, les cinéastes en herbe connaissent leur affaire en terme d'image et de prise de vue, avec des mises en scène et des cadrages qui n'ont rien à envier aux pros. Mais c'est le fond, ou plutôt son absence qui pose problème. En effet, la jeune génération paraît muette, tant elle n'a visiblement rien à dire. On nous sert ainsi des navets endormants à souhait aux allures de telenovelas (On the Beach) ou d'ersatz de nouvelle vague (Les Ambassadeurs), quand il ne s'agit pas de fantaisies symbolistes contemplatives pompeuses et sans queue ni tête (Iamina). Bref, à peine sorti de l’œuf, la majorité de ces nouveaux auteurs semblent déjà périmés.

Tout n'est pas à jeter pour autant, mais on regrette vraiment le conformisme ambiant, le manque de rythme et l'écriture bâclée.

Pas chez tout le monde. Car un jeune homme vient contrebalancer mes propos. Peut-être parce qu'il sort tout juste de l'hôpital psychiatrique, il a ce grain de folie si rare dans cette sélection. Mais il ne se prend pas le chou pour autant. Au contraire, il nous raconte ses problèmes psychologiques sur un ton simple, drôle et touchant. Le sien.
Et ça marche. L'image à beau par moments être tournée avec un téléphone portable, on est pris dans l'histoire de Nathan Hofstetter, ce radio-actif accro à la télé et aux ondes FM, qui dans ses délires pousse un peu trop loin l'identification au personnage, jusqu'à confondre réalité et fiction.

Face à la caméra, comme de coutume dans les émissions de télé-réalité, Nathan nous décrit son talon d'Achille à travers les extraits de son journal. Entre les lignes, on déchiffre peu à peu le personnage, qui retourne sur les lieux marquants de son trouble pour une mise au point sur les zones de flou.

Bien entendu, ses détracteurs clameront que c'est un film égocentrique. Et ils auront raison. Mais, comme me l'a dit une fois Christian Michel, éminent professeur d'histoire de l'art à l'université de Lausanne, être mégalo, c'est le propre de l'artiste. Et avec ce film, justement récompensé par un léopardeau d'or, Nathan en devient un.
Dans une entreprise courageuse et pleine de générosité, le cinéaste parvient à se dévoiler sans pour autant être impudique, et surtout à nous émouvoir tout en rejettant toute condescendance, en faisant preuve de beaucoup de recul et d'une économie de moyen stupéfiante.

Alors, les jeunes réalisateurs suisses feraient bien d'en prendre de la graine, car il y a plus d'une leçon à tirer de ces 27 minutes de film sincère d'un mec tellement dévoré par sa passion qu'il en a perdu la raison.

mercredi 7 mars 2012

Tom Dale - Formal Pleasure


Le centre d’art de Neuchatel (CAN) accueille l’artiste britannique Tom Dale du 11 février au 1er avril 2012. Au menu : des œuvres ludiques et parfois réalisées spécialement pour l’exposition, allant de la vidéo à l’installation en passant par le montage photo.



Surtout connu pour ses grands tremplins tordus, laissant présager des sacrées gamelles plutôt que des belles cascades, Tom Dale porte un regard sarcastique sur notre société toujours en quête de spectaculaire. Tom est aussi l’auteur de petites vidéos, comme celle dans laquelle il joue de la batterie à coups de fusils (ici).


Dans Formal Pleasure, on passe devant des photos de pavillons de banlieue tristounets sans tout de suite remarquer les incohérences de la composition, pourtant flagrantes, dues à de subtiles retouches d’images qui font se mêler façade et paysage. A l’entrée, des fusées de feux d’artifice coulées dans le béton donnent le ton de l'expo: il ne sert à rien de lutter contre la gravité (de la situation): Tom Dale nous remet sans cesse les pieds sur terre.
Dans une autre pièce, on découvre une carcasse de voiture dont les fenêtres brisées ont été remplacées par de charmants rideaux à frange dorés, qui font très déco de Noël : en fait, il s’agit de couvertures de survie découpées. Et la parure de fête souligne tout autant qu'elle masque l'horreur de l'accident. Dans le même ordre d’idée, un immense tapis rouge garde les profondes traces géométriques du poids d’un lance-missile, rappelant que la guerre est avant tout une question de mise en scène.
Mais l’œuvre la plus marquante de l’expo demeure sans aucun doute ce grandiose château gonflable en faux cuir, ironiquement intitulé Department of the interior, dont la noirceur transforme l’attraction enfantine en manoir hanté. Le textile brillant évoque également le fétichisme, une forme d’amusement pourtant habituellement réservée aux adultes. Mais malgré la tentation de se jeter dans la gueule du loup, vous serez prévenus : interdiction d’y sauter !

lundi 26 septembre 2011

Le NIFFF, ou la fiction du documentaire


Avec Festi’neuch, il constitue désormais un des événements les plus attendus par les braves Neuchâtelois avides de culture et d’ivresse : le NIFFF[1], un festival de film fantastique qui allie astucieusement l’underground au populaire, et ne cesse de s’agrandir au fil des éditions.
Contrairement au fiasco de Locarno l’année dernière (voir l’article), votre intrépide chroniqueur a consenti à décoller du bar du festival[2] le temps de quelques séances plus délirantes les unes que les autres. Review :


Commençons par un film qui reflète parfaitement l’esprit du festoche : HOUSE, un navet japonais (et non pas un chou chinois) de 1977, tourné façon série Z, curieuse parodie des pires films d’horreur. Un tas de jeunes filles débarquent dans une maison hantée où les pastèques se changent en têtes humaines, tandis que des doigts crochus jouent du piano tout seuls, avant qu’un chat maléfique referme les portes du manoir soudain inondé par un liquide rouge...  Gratuit et jubilatoire ! Avec inclus l’éclairage effet couché de soleil éternel, les fonds mal peints aux couleurs criardes et le ventilateur secouant les cheveux des pin-up. Hommage ou critique des films de genre, difficile de trancher.


Pas mal aussi, mais plus glauque, WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN. Une mère ne parvient pas à élever correctement son fils, qui le lui rend bien, puisqu’il finira par se muter en serial killer façon elephant, à l’âge où d’autres se contentent de drogues et de grossesses non-désirées.
La question de fond que pose le film : naît-on psychopathe, ou le devient-on en écrasant méthodiquement ses corn-flakes du bout de sa cuillère chaque matin ? Là encore, la question reste ouverte.


Et pour les amateurs de mangas, on recommandera plutôt l’éloquent KARATE-ROBO ZABORGAR.
Ici tout est dans le titre, et bien plus encore : une moto-goldorak comme dans vos rêves les plus fous, un adolescent sans peur ni reproche, et un monstre-diarrhée pas piqué des vers. Inutile de vous dire que les geeks dans la salle ont poussé des cris d’excitation dès les premières séquences.


Et comment ne pas évoquer le terrible THE VIOLENT KIND, mon coup de cœur de cette année, porté par un jeu d’acteur impressionnant, dans une intrigue dérangeante où se mêlent gangs de motards, extraterrestres, morts-vivants, beuveries et coups de couteau, le tout dans une atmosphère étrangement sixties qui n’est pas sans rappeler tonton Tarantino.


Enfin, arrêtons-nous sur le vainqueur du prix principal de cette année : THE TROLL HUNTER, film norvégien tourné façon Blair Witch Project, sans grande prétention, mais plutôt bien foutu et franchement rigolo.
En cherchant à tourner un documentaire sur un chasseur de troll, des jeunes cinéastes amateurs découvrent pourquoi il ne fait pas bon d’être chrétien la nuit dans les forêts scandinaves. On y apprend aussi que les pylônes électriques qui gâchent le paysage dans les zones inhabitées servent en réalité à garder en cage des géants mangeurs de cailloux.
Un texte d’introduction nous présente le film comme ayant été retrouvé abandonné comme tel sur les traces d’un carnage. Il s’agit en réalité d’une fiction tournée volontairement dans un style documentaire, l’effet de réel étant censé provoquer paradoxalement l’immersion du spectateur dans l’histoire, qui paraît soudain plus plausible à ses yeux. C’est un vieux truc bien connu des cinéastes qui se plaisent à voyager à cheval entre deux genres qu’on oppose un peu trop facilement, comme ce bon vieux Jean Rouch dont les docufictions ont été récemment encensés au festival de films de Fribourg, ou encore le virulent Peter Watkins et ses films d’anticipation, pseudo-documentaires qui reflètent pourtant une certaine réalité sociale.


Documentaire vs fiction ? L’histoire ne date pas d’hier. Dès les débuts du cinéma, on a opposé les vues des frères Lumière aux trucages de Georges Méliès, comme s’il existait deux manières de faire des films, l’une objective, captant la réalité, tandis que l’autre servirait à divertir le public en lui offrant un spectacle inédit, si possible éloigné de son triste quotidien. Mais les campagnes de propagande des régimes totalitaires ont prouvé qu’on pouvait faire dire tout ce qu’on voulait aux images. En ce sens, un documentaire n’est jamais le reflet exact de la réalité, mais une reconstruction subjective d’une certaine vision du réel. Et il suffit de regarder Capital ou Enquête exclusive pour se rendre compte à quel point on peut utiliser les codes de la fiction dans un reportage classique, notamment en terme de suspense et de mise en scène.  A l’inverse, on peut très bien faire une lecture documentaire d’un film de fiction, comme le sociologue Siegfried Krakauer avec Le cabinet du docteur Caligari (R. Wiene, 1919), qu’il analyse pour mieux comprendre l’Allemagne de la république de Weimar[3].

Continuons sur cette lignée en comparant le NIFFF à son supposé rival, le festival nyonnais Visions du réel, qui ne présente que des films classés documentaires. Et bien j’ai fréquenté les deux festivals cette année sans ressentir de grande différence dans les films présentés, même sur le plan narratif. En fait, la forme des films varie énormément d’une projection à l’autre, si bien qu’on pourrait penser que s’il existe encore des règles de l’art sur la façon de faire un film d’horreur ou une comédie musicale, elles ne sont faites que pour être rejouées, détournées ou enfreintes par les cinéastes. A ce titre, j’ai même souvent trouvé plus innovants les films proposés aux Visions du réel, alors qu’on a tendance à considérer le documentaire comme un genre ennuyeux et rébarbatif. Reste à signaler que de son côté, le NIFFF inaugurait une nouvelle section, films of the third kind, illustrant ainsi parfaitement l’idée qu’il devient bien difficile de ranger un film dans telle ou telle catégorie, si ce n’est en se basant sur des critères temporels ou géographiques.

Alors où se situe la limite entre documentaire et fiction ? La question ne se pose finalement peut-être pas à ce niveau-là. On peut tout au plus identifier deux idéaux, deux pôles impossibles à atteindre, formant toutefois un axe sur lequel les films se positionneraient. Mais ça, c’est déjà de la fiction.


[1] A ne pas confondre avec son homonyme, le poignant Neuchâtel Fist-Fucking Festival.
[2] Rassurez-vous, j’avais de quoi tenir le coup dans mon sac.
[3] De Caligari à Hitler : une histoire psychologique du cinéma allemand, L’Age d’Homme, 1973, ou comment citer des livres qu’on a jamais lu.