lundi 9 août 2010

Galactic Hits – la Maison d’Ailleurs


Quand on parle de science-fiction, généralement on pense roman d’anticipation ou film fantastique plutôt que 45 tours. Mais n’en déplaise à H.G. Wells et Spielberg, la Maison d’Ailleurs fait, le temps d’une exposition, la part belle au quatrième art, pas si éloigné qu’on pourrait le croire des mondes futuristes de la SF. Votre génial chroniqueur au rapport:

Un peu hagard, étouffé par l’écrasante chaleur de juillet, je pousse timidement la porte vitrée d’une haute bâtisse et atterri soudain dans un espace lumineux, frais et limpide. Je ne débarque pas dans une autre dimension, ni au rayon charcuterie, mais à la Maison d’Ailleurs, et c’est déjà presque une autre planète, bien qu’on ne soit que dans la vieille ville d’Yverdon. Car en plus de son espace permanent dédié à l’œuvre épatante de feu Jules Verne, le Musée de la science-fiction, de l’utopie et des voyages extraordinaires abrite effectivement des expositions pas comme les autres.



Cet endroit, je n’en connaissais que le nom. C’est donc tel un explorateur à la conquête d’un nouveau monde que je me suis élancé dans les entrailles de l’étrange bicoque, après un accueil très chaleureux du brave gardien de ce temple culturel, je tiens à le dire.
L’expo en question s’intitule Galactic Hits. Sans blague ! Et moi qui croyais naïvement que quand on parlait de succès interplanétaire ou de tube intergalactique, c’était seulement par effet de style. Comme quoi une hyperbole contient toujours une part de vérité.


Mais revenons à la réalité : en sortant de là, des sons venus d’ailleurs (c’est le cas de le dire) pleins les oreilles, encore un peu déboussolé par la vue des pochettes d’album plus psychédéliques les unes que les autres, il faut avouer que j’étais incapable de dire si les Sélénites tel que décrits par tonton Jules Verne aimaient à se dandiner sur les mêmes sonorités répétitives que ta petite sœur et son électro pourave. Par contre, en traversant l’espace dédié à la musique au cinoche, ça m’a rappelé que les petits hommes verts de Mars Attack! faisaient sauter leurs cervelles sous scaphandre à la moindre note d’opéra qui avait l’audace de parvenir jusqu’à leurs esgourdes, ce qui me paraît un peu déplacé de leur part, déjà qu’ils venaient envahir la Terre, à l’heure où on nous bassine avec des questions d’intégration et de tolérance culturelle, non mais franchement. Mais bon, à bien y réfléchir, on peut pas vraiment leur en vouloir aux envahisseurs, malgré leur faute de goût évidente et leur sale gueule manifeste, parce que tu l’avais peut-être oublié, il ne sont au fond que des images de synthèse, lesquelles sont probablement issues d’un programmateur doué mais un peu enveloppé, geek en puissance, grand amateur de films pornos vivant encore chez sa mère, tout comme le scénario a sans doute été torché par un écrivain raté comme moi, sauf que lui a été grassement payé pour une histoire qu’il a bien dû pomper quelque part, puisque tout a déjà été fait de nos jours.
C’est tout ça et bien plus encore qui fait qu’un film a beau te narrer des galaxies fort fort lointaines il y a très très longtemps, c’est en fin de compte le produit d’une certaine culture, qui s’inscrit dans une époque, et donc son reflet en quelque sorte, à condition que tu prennes un peu de recul et ouvre un peu tes mirettes.
Alors, tu me diras, il est beau le reflet de l’humanité que tu peux voir dans ce blockbuster de Tim Burton : des politicards pas foutus de se mettre d’accord, une armée à la ramasse, où même les hippies déclenchent la guerre, pour que finalement tout le monde s’entretuent dans la joie et la bonne humeur, à tel point qu’on dirait que les Hommes ne sont bons qu’à ça. Dans le fond, c’est même ça qui nous différencie de l’animal : la bombe atomique, les guerres de religion et les déchets nucléaire. Ah, il est beau le tableau !
Heureusement, il reste la poésie et le Nutella. La musique aussi, qui sauve humblement notre pauvre petite planète bleue dans le film en question. C’est justement là que l’artiste intervient, car je mets au défi ton hamster nain de pondre un alexandrin capable d’exprimer son état d’âme profond face à la cruauté du monde. Hé oui mon pote, l’art ne sert à rien, si ce n’est nous rendre un peu plus humain. En somme, c’est une sorte de fuite enivrante face à notre misérable existence. Si les mecs se créent des mondes merveilleux, c’est pour mieux échapper à leur vie de merde, isolés qu’ils sont dans leur tour d’ivoire. Mais même leurs utopies tournent fréquemment au vinaigre, parce que pour peu qu’on ait un brin de lucidité, on se rend vite compte qu’un monde parfait, sans emmerdements, ça n’existe même pas en rêve. La seule solution que je vois, ça serait de tirer un trait une fois pour toute sur nos bonnes têtes de vainqueurs, tu vois un peu le portrait !
Voilà grosso-modo la conclusion profonde à laquelle j’en suis arrivé dans l’ICN de 16h04 qui me ramenait au bercail. - Et l’expo dans tout ça ? Oh arrête ! Fait moi pas croire que ça t’intéresse, je sais bien que tu vas jamais aller la voir, et pour cause d’ailleurs, puisqu’elle est terminée depuis le début du mois d’août ! Mais si t’y tiens, je peux quand même t’en dire un peu plus, histoire que tu effleures à peine ce qui t’as filé entre les doigts.



Mis à part la thématique musique-cinéma susmentionnée, on trouvait aussi une salle pleine d’instruments de musique étranges, parmi lesquels des claviers aux allures de tableaux de bord de vaisseaux spatiaux, dont l’invention a offert des nouvelles possibilités aux musiciens en tout genre, comme Kraftwerk, groupe germanique précurseur de l’électro, dont la rigidité et la froideur métronomique ne font guère reculer les bons vieux clichés sur les Allemands. On se croirait dans Metropolis. A l’opposé, on trouve un autre genre de soupe un peu plus dansante, paillette et champagne bon marché. Place à la scène disco gay italienne, que les radios ont eu le bon goût de vite laisser de côté.
Autre fait marquant, la présence d’un thérémine, un des premiers instruments électroniques, inventé en 1919 par l’illustre Lev Sergeïevitch Termen, et qui permet entre autre de recréer le son vibratoire si caractéristique des soucoupes volantes. Ce qu’il y a de fascinant avec ce truc, c’est que l’appareil semble encore aujourd’hui made in Tatooine, tant son fonctionnement relève de la technologie extraterrestre : il suffit d’agiter ses mains au dessus des deux antennes, tel un chef d’orchestre, pour produire un son de trémolo martien à vous glacer le sang. J’ai testé, mais à moins de s’appeler E.T, difficile d’émettre un son potable avec ce truc.
Dans l'ensemble, on est bluffé de découvrir à quel point l’espace intersidéral à pu être source d’inspiration pour toute une époque, et ce du reggae au free jazz, de la musique classique à la pop, à l’heure où le bloc soviétique et la puissante Amérique se disputaient la lune, tandis qu’Hergé y avait déjà planté le drapeau de la valeureuse Belgique de la pointe de son crayon. L’univers, ses trous noirs et ses nébuleuses deviennent alors le lieu de tout les possibles, un infini où chacun peut trouver sa planète idéale, voire une source de métaphores pour les junkies, qui planent de plus en plus haut, ou les amoureux, qu’ils viennent de Mars ou de Vénus.

Can’t you hear me Major Tom ?

Avant Daft Punk et leur série de clips Interstella 5555 inspirée des mangas futuristes comme Albator, on trouve ainsi un tube folk-psychédélique diffusé en 69 sur la BBC en même temps que l’alunissage d’Appolo 11 : Space Oddity, titre qui propulse le mutant David Bowie sur orbite. Le morceau raconte l’histoire d’un jeune astronaute, Major Tom, qui, malgré les appels insistants de la tour de contrôle, décide de rester planer en apesanteur ad vitam æternam. Par la suite, Bowie poussera son fantasme galactique jusqu’à se créer un double venu d’une autre planète, Ziggy Stardust, icône glam rock à l’intelligence supérieure et la philosophie peace and love, sorte de dilettante colorée, créature androgyne de pacotille qui, comme l’aurait rêvé Dalida, mourut sur scène en 1973.



Mais plus que dans les paroles, c’est surtout sur les pochettes d’albums et autres affiches de concerts qu’on retrouve le plus souvent notre SF tant recherchée et son lot de zombies criards. Pas étonnant, vu que, depuis la télévision, le déhanché du King, et la coupe au bol de quatre garçons dans le vent, l’aspect visuel est devenu au moins aussi important que la musique dans l’univers d’un groupe, pour ne pas dire dans l’industrie de la pop music, subitement marketée à outrance. Et là, on se rend compte que les motifs psychédéliques ne sont pas que l’apanage de Jimi Hendrix, et qu’il fût une époque bénie où la lisibilité d’une affiche passait après la création artistique, pour autant qu’on bosse sous acide. On trouve de tout, un peu comme les Pokémons, du gentil papillon-oreille au redoutable tank-tatou en passant par la féroce libellule-éléphant carnivore, le tout dans des décors préhistoriques pour la plupart.
Et sinon, beaucoup de musique à écouter bien sûr. Du lourd, comme Pink Floyd, Frank Zappa, les Beatles époque Yellow Submarine ou plus récemment Muse. Mais aussi des objets plus insolites, ovnis de la scène indie, comme Ben Richter et son orchestre de chambre inspiré par l’infinité du cosmos, ou The Nematoads et leur surf music sortie tout droit des générique de série B de notre enfance. Bref, on trouve de tout, avec néanmoins une tendance générale : la plupart du temps, ça frise l’inécoutable. Clairement, les artistes se placent du côté de l’expérimental, créant un embrouillamini indigeste à la longue mais créatif au possible, qui s’avère souvent assez planant, pour peu qu’on prenne le temps de se laisser emporter.

Finalement, la Maison d’ailleurs remporte un pari qui n’était pas gagné d’avance, étant donné qu’il était question de musique, un médium presque aussi difficile à exposer que du land art (essayez un peu de faire rentrer le pont Neuf de Christo dans un musée !). Et l’expo réussit assez brillamment à illustrer les liens ténus entre SF et musique moderne, retraçant au passage l’histoire de la culture populaire des années 50 à nos jours. On regretta seulement un certain manque de fantaisie (excepté le coin disco) dans la mise en scène et l’absence d’un catalogue d’exposition pour approfondir un sujet qui mériterait plus d’attention.  Et si la musique de film est intelligemment mise en avant, pourquoi ne pas avoir tenté un rapprochement avec l’architecture ou la peinture ?

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