J’aime bien le foot, mais
il y a des limites.
Il y a des limites quand
Gazprom, nommée pire entreprise de l’année, se targue d’être l’un des sponsors
principaux de la Ligue des champions.
Quand les clubs
vendent leurs noms de stade à des entreprises sans se poser de questions, et
qu’on se retrouve avec des Reebook Stadium et des Allianz Arena.
Quand on voit des
pubs pour McDo sur le bord des terrains.
Quand le cinéma a été
inventé il y a 119 ans et qu’on n’a toujours pas d’arbitrage vidéo.
Je me pose des
questions.
Le foot médiatisé n’est
pas qu’un simple sport, isolé du reste du monde sur son rectangle vert. Qu’il
le veuille ou non, il reflète une réalité économique, politique et sociale. Le
foot est soumis au pouvoir néolibéral dominant. Les joueurs circulent à
travers le monde entier et sont contents d’être vendus comme une vulgaire
marchandise à des prix exorbitants. Le surendettement des clubs n’est qu’une
preuve supplémentaire que le capitalisme mondial intégré a atteint ses limites.
J’aime bien le foot
mais il y a des limites, quand le président de l’UEFA, Michel Platini, déclare
que les milliers de Brésiliens en situation précaire, déplacés sans ménagement
pour construire des stades, feraient bien de se la coincer un peu pour laisser
se dérouler sans encombres la « grande fête du football ». La fête de
quoi ? Des droits de retransmission, des produits dérivés, des paris en
ligne et des vignettes panini.
Il y a des limites
quand dans le même temps, au Qatar, on prépare la coupe du monde 2022 à grands
coups de bulldozer, au milieu des déserts brûlants et des buildings climatisés.
Que l’on fait venir des milliers d’ouvriers de l’étranger, qu’on leur prend leur
passeport à l’arrivée, qu’on les force à travailler 12 heures par jour par des
températures de 50 degrés, qu’on leur refuse l’accès systématique à l’eau
potable, bref, qu’on les exploite comme autrefois l’Egypte exploitait des
esclaves pour construire les pyramides. C’était il y a plus de 4'500 ans, et ça
continue encore aujourd’hui. Combien de morts supplémentaires faudra-il pour
que ça cesse ?
Il y a des limites
quand les grands équipementiers comme Nike lancent une campagne intitulée
« respect » alors qu’ils exploitent eux aussi leurs ouvriers chinois
sous-payés.
Il y a des limites
quand la FIFA fait penser à l’OMC. Et je ne parle même pas du scandale des
matchs truqués.
Le foot actuel n’est
pas libre. Il est esclave de son temps. Il ne reconnaît aucune valeur, si ce
n’est celle de l’argent.
J’aime bien le foot
mais il y a des limites quand la poignée de jeunes joueurs qui réussissent à atteindre le plus haut niveau gagne
des centaines de millier d’euros jusqu’à 35 ans et puis plus rien. Des jeunes
repérés dès leur plus jeune âge, sortis de l’école, éloignés de leurs parents,
incapables de réfléchir autrement qu’avec leurs pieds, de caresser autre chose
que le ballon et le rêve d’une grande carrière qu’on leur a promise à coup sûr.
Des machines de guerre éduquées à la spartiate, qui signent trop vite leur
premier contrat et se pavanent bientôt en Ferrari avant d’essuyer les blessures
à répétition et de finir sur le banc de touche. Des futures stars avortées sur
qui on a trop spéculé, déjà bonnes pour la casse après quelques saisons ratées.
Des champions de l’obsolescence programmée, qui ratent leur diplôme
d’entraineur et parlent trop mal le français pour être consultants pour TF1.
Qui souffriront bientôt de problèmes de santé dus aux produits dopants
ingurgités pendant leur courte carrière de footballeur professionnel.
J’aime bien le foot
quand il incarne ce rêve à l’américaine version frenchies seconde génération,
quand des petits Zinedine, Samir ou Karim passent du bitume des cités
défavorisées aux pelouses du Real de Madrid grâce à la magie du ballon rond.
J’aime bien le foot
quand un club de division inférieure remporte la coupe nationale, renversant la
hiérarchie, brouillant tous les pronostics.
J’aime bien le foot
quand une équipe menée au score parvient à renverser la situation in extremis dans les deux dernières
minutes de jeu, et remporte la partie sur le fil.
J’aime le foot quand
il est porteur d’espoir, de suspens et de belles histoires. Quand il est
dépourvu de logique. Quand il laisse sa chance au plus petit.
Je n’aime pas le foot
quand Zidane met un coup de boule à Materazzi et qu’on lui pardonne parce que
c’est Zizou, ou que Maradona marque de la main et qu’on en fait un dieu vivant.
Pourquoi celui qui ne respecte pas les règles du jeu mériterait-il le
respect ?
Mais à la limite,
j’aime mieux Zidane depuis son coup de boule, parce que par ce geste stupide,
il a montré qu’il était comme tout le monde : humain, capable du pire
comme du meilleur.
Je n’aime pas le foot
business, ultra défensif, arrogant, calculateur, à la limite du fair-play de
José Mourinho. J’aime le foot décomplexé, collectif, audacieux, déconcertant et
formateur d’Arsène Wenger. Même si ça ne marche pas à tous les coups. Même si
lui aussi accepte de suivre certaines règles du foot business.
J’aime le foot quand
il perd avec panache plutôt que quand il obtient des résultats sans la manière.
J’aime bien le foot quand les équipes ressemblent à des collectifs plutôt qu’à
des multinationales.
J’aime bien le foot
mais il y a des limites, quand on nous hypnotise avec un ballon rond pour nous empêcher
de regarder ailleurs. Quand les dirigeants politiques font preuve d’un populisme
navrant en se rendant personnellement au stade pour les matchs importants.
Quand même les équipes nationales ont leurs sponsors privés. Quand les matchs à
la télévision et les pubs à la mi-temps nous aliènent l’air de rien.
J’aime bien le foot
mais y a des limites, quand on néglige à ce point le foot féminin, et qu’on
promeut, parfois sans s’en rendre compte, le machisme, l’individualité et l’exclusion
à tour de bras.
J’aime bien le foot
mais il y a des limites, quand il se passe un petit peu trop de choses
hors-jeu, quand il y a des coups pas si francs, quand il y a des tirages de
maillot, quand ça mérite carton rouge et que l’arbitre fait comme s’il n’avait
rien vu.
Que se passerait-il
si on s’en prenait à l’arbitre et qu’on tentait de changer un peu les règles du
jeu, juste pour voir ?
Quand j’étais petit,
comme beaucoup de garçons, je voulais être footballeur. Aujourd’hui je suis
bien content de me tenir loin des terrains.
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